J'ai découvert ce groupe finalement assez tardivement. J'étais disquaire encore.
C'est en achetant un lot plutôt New Wave, Synth-Pop, Cold, que je mis la main sur ce fameux "Rain" de Lowlife. Je n'avais jusqu'alors jamais entendu parler de ce projet. Le sticker sur la cover m'intrigua immédiatement, bien entendu : "Lowlife featuring ex Cocteau Twins and Dead Neighbourg". Tout un programme ! (même si je ne connaissais pas le second groupe)
Le visuel ne m'inspirait guère par contre. Je le trouvais curieux, ce bleu avec ce dégradé de rose dégoulinant et cette photo, un personnage féminin semblait-il et des coulures noires comme si elle avait des dreadlocks. Etonnant. En y regardant de plus près je constatais qu'il s'agissait d'un Mini Lp avec 6 titres. Quelques recherches plus tard, j'avais donc décelé que je me trouvais en présence de leur premier enregistrement sorti en 1985. J'en étais resté là, pas plus. Je n'avais même pas entrepris de recherche sur les Dead Neighbourg. Quelques jours plus tard, j'amenais le lot en question à ma boutique, avec ce "Rain". Je mis celui-ci sur la platine du magasin, pour me faire une idée. Le 1er titre de la face A débuta "Sometime : Something", et d'entrée, le charme s'opéra. Parfois il ne faut pas des plombes (des écoutes répétées) pour commencer à s'émouvoir et que les poils des bras se dressent. Ces disques-là ne sont pas pléthores, mais ils existent. Tous les ingrédients étaient en effet réunis : une voix langoureuse, et caverneuse (plein de reverb), une mélodie aérienne, des guitares cristallines et une basse énorme. La suite des morceaux ne fît qu'enfoncer le clou. Je tenais là une galette phénoménale. Elle ne quittait plus la platine et ce pendant plusieurs jours. Des clients, d'ailleurs de passage, me demandaient souvent de quel groupe il s'agissait. Je leur répondais rapidement pour couper court à toutes spéculations, que c'était du Lowlife, un groupe obscur, et que c'était un disque de ma collection privée.
Je me décidais d'ailleurs à le rapatrier chez moi, pour l'écouter sans relâche et éviter de devoir subitement négocier avec un client. Il était urgent de le retirer du "marché", et de le mettre à l'abri des convoitises. Là, dans mon salon, il pouvait tourner inlassablement. Sa durée était relativement courte (moins de trente minutes), mais cela me donnait le prétexte pour le remettre deux ou trois fois dans la foulée de la première écoute. Son format ramassé conférait à ce disque une justesse de ton et un concentré de "génie" de composition. "Rain" est de ces premiers albums sublimes et inégalables, de ceux qui apparaissent plus tard, comme des jalons, des marqueurs, fondateurs de la petite histoire des musiques modernes. En parallèle, j'avais bien entendu, entrepris des recherches sur le groupe.
Terminé le temps où je devais rester sans réponses, pendant des années. Si l'on peut remercier l'apparition du net c'est bien pour ce genre de choses. J'appris ainsi que Lowlife était originaire de Grangemouth, en Ecosse. Et que donc au départ le groupe se dénommait Dead Neighbourg. Il était formé de Graig Lorentson au chant, de David Steel à la basse, de Ronnie Buchanan à la guitare et Grant McDowall à la batterie et officiait dans un registre proche du Psychobilly, inspiré des Cramps. Ils étaient managés par Brian Guthrie (le frère de Robin des Cocteau Twins, tiens tiens...). Leur premier album "Harmony in hell" avait vu le jour en 1984. Lors de l'enregistrement de leur second opus "Strangedays : strangeways", le bassiste Steel, quitta le groupe subitement. Brian Guthrie, du coup, fit appel à Will Heggie, tout juste lui aussi, parti des Cocteau Twins (bassiste initialement et membre fondateur de ce groupe). Il intègre donc les Dead Neighbourg et permet l'achèvement du second album. Dans la foulée, les voilà sur la route pour une tournée en compagnie de Johnny Thunders. Heggie reste dans le groupe. A final le second album sort en 85.
Globalement le son des Dead Neighbourg a sensiblement évolué, avec la présence de l'ancien bassiste des Cocteau Twins. Leur musique devient plus "atmosphérique", plus aérienne et moins rock'n'roll. Buchaman, le guitariste à son tour quitte le groupe, déçu par la nouvelle direction artistique. C'est Stuart Everest qui le remplacera. Les musiciens ont décidé dans la foulée d'abandonner leur premier nom, et adopte celui de Lowlife. En 85, Brian Guthrie monte le label Nightshift records, spécifiquement pour éditer les enregistrements de Lowlife (mais pas seulement, il y a aussi quelques perles). "Rain" sort la même année donc. La presse spécialisée repère l'objet et en loue la qualité et la pertinence. Immédiatement encensé, le groupe se voit cataloguer dans le registre New Wave, Dark Wave ou Rock Gothique. La voix de Lorentson n'y est pas pour rien (avec son côté cathédralesque, ou comme enregistrée dans une crypte).
En 1986, Lowlife poursuit son œuvre et sa tache en publiant d'abord un Ep annonciateur "Vain Delights" puis leur véritable premier album "Permanent Sleep". C'est la consécration, enfin toute relative, dans le milieu indé essentiellement. Encore une fois, cet album n'est pas très long (8 titres au total), il ne traine pas. Leur univers finit par se déployer totalement, se caractérisant par un style à la fois épuré, mais absolument complexe. Les morceaux y sont d'une langueur infinie, et d'une mélancolie effarante. Lowlife signe des titres qui parlent aux tripes, simplement, sans fioriture et sans trop d'artifice. Et c'est tout ce qu'il faut dire et écrire, pas plus pas moins. Il y a des groupes comme ça, qui n'en font pas des caisses et qui pénètrent vos sens, vos organes. Des mélodies magistrales, agrémentées de cette voix (bien en avant) si caractéristique et si envoutante, charismatique même, cette basse lourde et prenante, la batterie et sa reverb et cette guitare qui superpose ses accords aux sons du Flanger ou du Chorus. Une des caractéristiques également de Lowlife est aussi sa capacité à concevoir des instrumentaux de toute beauté (à écouter par exemple "The Betting And Gaming Act 1964").
A toute allure, Lowlife publie un an plus tard, "Diminuendo" leur second album. Le groupe hisse encore son niveau et atteint des sommets que l'on croyait avoir déjà approcher lors des précédentes livraisons. Cette fois-ci la presse (surtout anglaise) semble s'emparer du phénomène. Les voilà en tournée avec The Go-Betweens, ce qui va participer à leur reconnaissance, qui restera néanmoins toujours circonscrite à un cercle d'initiés. Lowlife est en effet de ces groupes, au même titre que The Sound, Sad Lovers & Giants, Eyeless in Gaza et consorts, qui viendront grossir les rangs de ces fameux "groupes cultes". Lowlife c'est un peu ça, l'écrin, qu'une armée de passionnés (quelques milliers) ont gardé pour eux, sans trop vouloir partager. Lowlife c'est un romantisme à volonté, à foison, et l'archétype de ce sentiment, presque la synthèse même, à la manière peut être d'And Also The Trees.
Si vous commencez à vous intéresser à ce groupe, vous constaterez très rapidement que leur discographie est aussi rare que chère. Le privilège du fétichisme. En vinyle cela frise l'indécence. Si comme moi, vous composez votre discothèque au grès des hasards, des rencontres ou des opportunités, vous pourrez sans doute attendre longtemps. Pour Lowlife, je crois qu'il faut forcer le destin. Sinon vous ne trouverez rien. Je mesure la chance que j'ai eu de croiser dans ce lot "Rain" et quelques temps plus tard" Vain Delights". Pour le moment je ne suis pas allé plus loin que le second album dans l'écoute. Bien sûr je pourrais les télécharger. Mais j'aime croire encore aux coups de bol.
Dans les années 90, Lowlife publiera trois autres albums et un live. Reste donc à les découvrir. Sur cette décennie le groupe se désagrégera, avec l'éviction de certains membres (Everest, Mc Dowall), le manque d'intérêt des médias et des auditeurs, une certaine lassitude et la crise du disque (Brian Guthrie est obligé d'emprunter de l'argent pour maintenir à flot son label Nightshift, et financé "San Antorium" le 4ème album). Les temps sont difficiles, le groupe se sépare vers 1997 dans l'anonymat. En 2010 le leader et chanteur magnétique Graig Lorentson décède à l'âge de 44 ans des suites de maladie.
Détail qui a son importance, le catalogue de Lowlife a été réédité en Cd en 2006 chez LTM.
"Permanent Sleep" réunis également "Rain" (c'est bon à savoir). Comme souvent sur ces rééditions, l'éditeur les a agrémentés d'inédits. Vous pouvez les trouver à des tarifs plus raisonnables, bien que...
Graig Lorentson
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